(natalie dormer) and if we burn, you'll burn with us.

and now that's my story

Une inspiration. " Avance, Milan. " Une expiration. " Avance. "

Elle répète. Inlassablement. Les mêmes mots, le même ordre, le même nom. Milan, ça résonne. Avance, c'est impérieux. Son petit frère n'a pas la choix, il s'exécute, il continue de traîner ses pieds ensanglantés, pleins d'ampoules et de souffrance sur le sol aride. Katsya lui tient la main quand il faiblit, elle le ramasse quand il tombe. Il a quinze ans. Elle en a vingt. Aucun bus, aucune voiture, pas le moindre camion à l'horizon. Il n'y a qu'eux deux. Eux trois, en fait. Entre les bras de la jeune fille, un autre garçon. Celui-là a cinq ans, il ne peut pas marcher longtemps. Il a chaud sous le soleil plombant, le visage à peine protégé par une vieille casquette de base-ball mitée, ses traits poupins disparaissant sous la crasse. Pourtant, il arrive à dormir. Il est épuisé. Ils le sont tous.

" J'aime pas être à la surface. J'le sens pas. Et si ça se trouve, ce sera pire là-bas. "

C'est Milan qui bougonne. Son aînée lui jette un regard en biais. Sans commentaire. Ils en ont déjà parlé des dizaines de fois. Il n'y avait plus rien à New York pour eux. The Pulse leur a tout pris : leur vie douillette, leurs parents, leurs amis ... Ils ont vécu sous terre après l'horreur, ils sont remontés dès qu'ils ont pu et ont vite découvert que le métro valait mieux que le cataclysme d'au-dessus. Impossible de s'y faire une place. Du moins pas celle que Kat veut, pas celle dont Milan aurait besoin et surtout, trop peu d'espoir pour cet enfant endormi entre les bras de sa mère. Là où ils vont, par contre ... D'après les rumeurs, d'après ses contacts, ils ont une chance. Et c'est toujours une de plus qu'à New York.

" Prend-le un peu. " L'enfant change de mains. " Plus que 200 kilomètres. "

Un vieux panneau fracassé, oscillant sur son poteau vient de l'en informer. Seattle - 124 miles. Presque rien. Bientôt, ils y seront. Alors, ils continuent d'avancer.


Deux silhouettes dissimulées dans l'ombre d'un container. Les docks fourmillent ce soir, avec cet entrepôt toujours en proie aux flammes devant lesquelles les secours s'agitent afin de contenir l'incendie. Un drone passe au-dessus d'eux et ils s'enfoncent un peu plus, sans rien rater du spectacle. Seule preuve de leur présence, le mégot rougeoyant d'une cigarette.

" T'as failli merder avec la minuterie. A cinq minutes près, ils se faisaient tous cramer le cul. " Elio ricane. Ça l'amuse plus qu'autre chose. " Surveille ton langage, petit con. " Nouveau rire. " Allez m'man, avoue. " Katsya lui renvoie un regard meurtrier. Quinze ans et déjà irrespectueux. Foutu monde mal branlé. Saloperie d'éducation loupée. " C'est ça, fais le malin. Allez, on en a assez vu. "

Le bâton mortifère finit écrasé sous sa botte tandis qu'ils se faufilent discrètement entre les containers. Elle pourra rapporter aux autres que tout s'est passé comme prévu. Le Maire devra se passer de ses tartines de vrai beurre demain matin et, à l'image de cette populace qui n'a aucun intérêt à ses yeux pleins aux as, se contenter de cette bonne vieille margarine insipide. Quel drame, hein ? Mais une petite victoire pour eux, ceux qui luttent dans l'ombre contre les inégalités et les privilèges des uns au détriment les autres. Et Katsya en connaît un rayon, depuis dix ans qu'elle s'active pour la rébellion, où elle a commencé tout en bas, petite chimiste mal dégrossie, pour arriver jusqu'aux plus hautes strates de la chaîne alimentaire. A force de volonté et de travail acharné. De sacrifices, également. De prises de risques, toujours.

Néanmoins, elle se moque bien de vivre dans un petit appartement miteux de South End avec son frère et son fils, quand bien même elle sait qu'elle a complètement foiré l'éducation de ce dernier. Elle n'en a rien à carrer qu'on la soupçonne d'agir contre "les autorités", d'être hors-la-loi. Pour le prouver, il faudrait remonter jusqu'à elle et pour ça, il faudrait passer par ses alliés, par son groupe bien organisé. Arriver à faire tomber leur couverture de vendeur de tissus sur les marchés. Plus facile à dire qu'à faire. Peu de gens, à l'heure actuelle, pourrait se vanter d'avoir survécu à 3 000 kilomètres de périple sans être doté d'un minimum de ruse et d'intelligence. Peu de gens ont conscience que si l'on croit en la cause que l'on défend, si l'on cesse de se regarder le nombril, tout devient possible. Malgré l'apocalypse.