(alexander skarsgård) down the rabbit hole

and now that's my story
Il y a un grand soleil dehors, c’est une belle journée de printemps, mais tu n’en vois qu’une infime partie, à travers la meurtrière de ce cachot humide, ce débarras où l’on garde les criminels. Tu as désobéi, tu as refusé l’ordre, parce que c’était la seule chose que ta conscience t’avait dicté ; tu as désobéi et tu ne le regrettes pas. Tu contemples d’un air absent ces galons de Capitaine, ceux là mêmes qui ornaient la veste grise de ton grand uniforme et qu’ils t’ont arraché quelques heures plus tôt. Derrière la porte qui te sépare du couloir, de la liberté, tu entends des pas, des claquements de bottes, réguliers comme l’horlogerie Suisse. La silhouette se dessine, se dresse, devant toi, imposante malgré le poids des années. Et puis cette voix si familière, celle de l’homme qui t’a appris à allumer un feu par tous les temps, qui t’a transmis son nom, sa passion pour ce pays que tu servais avec fierté. – Traitez le comme un déserteur… Ça donnera à réfléchir à tous ceux qui seraient tentés de suivre son exemple. Il leur donne cet ordre, leur parle comme si tu n’étais pas là, et tu dois te faire violence pour ne rien laisser transparaître, pour ne pas montrer que tu as mal, ici, au plus profond de toi, parce que tu comprends que pour lui, tu as cessé d’exister.  Son regard croise le tien, mais il n’y a rien dans ses yeux, rien qui te rappelle l’homme que tu admirais tant en grandissant ; il n’y a plus que cette soif de pouvoir, cette détermination farouche à avoir plus, toujours plus.


Nichée au cœur d’une épaisse forêt du Daghestan, c’est une résidence paisible, décorée avec le faste un peu outrancier et décadent de la nouvelle richesse oligarchique qui n’a pas pu s’acheter le raffinement en même temps que ses propriétés sur la Caspienne… Tu te formalises peu en réalité de ce manque flagrant de goût, parce que tu n’es pas là pour profiter du décor, même si les apparences semblent hurler le contraire. Nu, le bras posé sur la taille de ta conquête, pauvre pion sur ton échiquier, tu joues la comédie de l’attachement, suffisamment pour rester, t’immiscer dans ce cercle très restreint des ‘proches’ … Tu manipules, tu trompes, c’est de ça qu’est faite ta nouvelle vie. Tu as courtisé ce pauvre fou parce que son père te rapproche de celui que tu as dans ton viseur. Abram. Il ne se doute de rien, il dort,  et tu entends que ça reste ainsi, au moins pendant encore quelques heures, le temps que tu rassembles tes affaires, et disparaisse dans la nuit encore épaisse. Tu t’extirpes de la douce chaleur des draps avec une seule pensée ; bientôt tu seras loin, tu as tout ce qu’il te faut pour clore cette affaire, toucher ton argent, et recommencer. La neige est immaculée dehors, c’est bien la seule chose qui l’est dans cette région du monde. Il doit encore neiger cette nuit, tes pas seront bientôt recouverts, il n’y aura plus de traces de toi dans cette splendide Datcha, tu y as veillé, à part le souvenir que tu auras laissé à un amant, une pierre de ton édifice.


Combien de corps sans vie as-tu contemplé, combien de familles, d’espoirs ou de destins as tu brisé ? Tu as perdu le compte, tu ne te préoccupes pas de ça, c’est la seule façon de continuer dans cette profession. Tu survis, comme tant d’autres à qui on a coupé les ailes, tu offres tes compétences au plus offrant : être dans l’armée t’auras finalement permis de te procurer le couvert et un toit, même s’il change trop souvent pour que tu puisses vraiment parler de maison. Ce mot n’a plus de signification pour toi depuis longtemps, c’est à peine si tu l’as prononcé durant ces trois dernières années. La désolation t’entoure, dans cette Amérique défigurée, presque rayée de la carte, abaissée au rang de paria des puissants de ce monde. Personne ne voudrait venir ici de son propre chef, juste pour le folklore. Toi tu es là parce que c’est un contrat que tu as signé, un qui te tient particulièrement à cœur, une fois n’est pas coutume. Walter Myers. Aussi connu sous le nom de Mirko Dadic, première fortune de Serbie… Tu as suivi cet homme, de loin, de la même façon que tu as regardé de loin, ce pays que tu aimais tant devenir un géant déshumanisé sous la coupe  féroce de ton paternel. New-York, Washington, et maintenant Seattle. Cet homme qui sillonne l’Amérique en clamant vouloir reconstruire l’économie américaine par la force de ses investissements. Quelle hypocrisie, ça te soulèverait le cœur si t’en avait encore un… Tu sais que l’arrivisme de cet homme n’a pas de limite, il parle bien, a du charisme, mais retourne sa veste plus vite que personne si ses intérêts y trouvent leur compte.